Les petites fermes comme moteur écologique pour la planète

5 raisons pour revitaliser les petites fermes dans les pays du Sud
Jeudi 2 septembre 2010

Miguel Angel Altièri est Président de la Société scientifique latino-américaine d’agroécologie (SOCLA) et Professeur d’agro-écologie à l’Université de Berkeley en Californie.

Un éclaircissement de la pensée de notre Saint-Père Benoit XVI, qui a maintes fois mis l’accent sur la nécessité de la défense de la petite agriculture paysanne….

Octobre 2008, traduit de l’espagnol par Les Journées Paysannes

Depuis longtemps la Via Campesina soutient que les agriculteurs ont besoin de terres pour produire des aliments pour leur propre communauté et pour leur pays. Ils ont donc besoin d’une véritable réforme agraire promouvant l’accès et le contrôle des ressources vitales telles que la terre, l’eau, l’agrobiodiversité… Cette réforme est d’une importance capitale pour que les communautés soient capables de satisfaire les demandes alimentaires croissantes en cette période de crise alimentaire mondiale.

Pour protéger des sujets comme l’alimentation, le travail, la sécurité alimentaire des populations, la santé et l’environnement, la Via Campesina estime que la production alimentaire doit rester entre les mains de petits paysans qui pratiquent une agriculture durable, et ne peut être laissée sous le contrôle des multinationales agro-industrielles et des chaines de la grande distribution. Ce n’est qu’en changeant le modèle d’exportation, le libre échange et le modèle des grandes fermes agro-industrielles, qu’on pourra réduire la spirale de la pauvreté, des bas salaires, de l’exode rural, de la faim et de la dégradation de l’environnement.

Afin de résoudre les problèmes de la faim dans le monde, les mouvements sociaux paysans se battent en faveur du concept de souveraineté alimentaire comme une alternative à la proposition néolibérale qui défend le libre-échange international. Aussi ces mouvements se concentrent-ils sur l’autonomie locale, des marchés de proximité, des cycles de production-consommation internes, l’indépendance énergétique et technologique et des réseaux entre agriculteurs.

Via Campesina, mouvement à l’échelle mondiale, a lancé récemment son message aux pays du Nord, pour obtenir l’appui de fondations, et spécialement pour toucher les consommateurs à fort pouvoir d’achat qui dépendent de plus en plus des produits alimentaires provenant du sud, en achetant des produits de l’agriculture biologique, du commerce équitable ou du « slow food ». Ces consommateurs peuvent exercer suffisamment d’influence pour contrer l’expansion des biocombustibles, des cultures trangéniques et des agro-exportations, et ainsi mettre fin aux subventions de l’agriculture industrielle et aux pratiques déloyales qui portent atteinte aux petits paysans du Sud .

Mais ces arguments peuvent-ils vraiment retenir l’attention et le soutien des consommateurs et des philanthropes du Nord ? Ou est-il nécessaire de fournir un argument différent qui mette en avant qu’une meilleure qualité de vie et la sécurité alimentaire du Nord dépendent non seulement de la production d’aliments par le Sud mais encore des services écologiques que rendent les petits paysans ? Il en ressort que les fonctions écologiques jouées dans les petits systèmes de production agricole (qui subsistent en Afrique, en Asie et en Amérique latine, dans cette ère post-pétrolière dans laquelle l’humanité est entrée) devraient être envisagées comme un atout écologique pour l’humanité et pour la survie de la planète.

Dans cette période d’augmentation du prix du pétrole et de l’alimentation, du changement climatique, de la dégradation de l’environnement, de la contamination transgénique et des systèmes alimentaires dominés par les multinationales, les petites fermes agroécologiques diversifiées du Sud sont les seules formes viables d’agriculture qui pourront nourrir le monde, dans la nouvelle donne économique et écologique mondiale.

Il existe au moins cinq raisons pour lesquelles les consommateurs du Nord doivent soutenir la cause et la raison d’être des petits paysans du Sud :

1/ Les petits paysans sont la clef de la sécurité alimentaire mondiale.

Tandis que 91% des terres agricoles de la planète (1,5 Milliard d’Hectares) sont de plus en plus destinées à des cultures d’agroexportations, d’agrocarburants et de soja trangénique pour alimenter les automobiles et les élevages, des millions de petits paysans dans le monde en développement produisent la majeure partie des cultures de base, nécessaires à l’alimentation des populations urbaine aussi bien que rurale.

  • En Amérique Latine, environ 17 millions de paysans occupent 60,5 millions d’hectares correspondant à 34,5% des terres cultivées, sur des fermes dont la surface moyenne est de 1,8 ha. Ils produisent 51% du mais,77% des haricots, et 61% des pommes de terre de leur propre consommation. L’Afrique compte à peu près 33 millions de petites fermes qui représentent 80% des exploitations du continent.
  • Bien que l’Afrique importe à l’heure actuelle d’énormes quantités de céréales, la majorité des agriculteurs africains (des femmes pour la plupart) possède des fermes de moins de 2 ha qui produisent une quantité importante des aliments de base avec pratiquement pas ou peu de fertilisants et de semences améliorées.

  • En Asie, plus de 200 millions d’agriculteurs sont des petits producteurs de riz qui produisent, sur des fermes de moins de 2 Ha, la majeure partie de cette céréale.

De légères augmentations dans les rendements de ces petits producteurs qui fournissent la plus grande partie de la nourriture mondiale de base, auront plus d’impact sur la disponibilité de la nourriture aux niveaux locaux et régionaux, que les douteuses augmentations de rendement prédites par les firmes de grandes monocultures avec une technologie sophistiquée et des semences génétiquement modifiées.

2/ Les petites fermes sont plus productives et conservent mieux les ressources que les grandes monocultures.

Bien qu’on pense en général que les petites fermes sont arriérées et improductives, les recherches démontrent qu’elles sont bien plus productives que les grandes si on considère la production totale plutôt que les rendements par produit.

Les systèmes de fermes intégrales dans lesquelles les paysans produisent en petites quantités des céréales, des fruits, des légumes, du fourrage et des produits d’origine animale, apportent de meilleurs rendements que ceux qui produisent en système de monoculture à grande échelle.

  • Une grande ferme peut produire plus de maïs à l’hectare qu’une petite ferme dans laquelle le maïs n’est qu’une partie d’une polyculture qui inclut fèves, courges, pommes de terre et fourrage.
  • Dans les petites fermes où les paysans développent la polyculture, la production récoltable par unité de surface est plus importante que sur les monocultures, avec des gestions similaires. Les productions sont de 20 à 60% supérieures parce que les petits paysans réduisent les pertes dues aux adventices, maladies et insectes, et ont un usage plus efficace des ressources en eau, lumière et nutriments disponibles. En terme de production totale, une ferme diversifiée produit beaucoup plus d’aliments, même si c’est calculé en dollars.

Aux Etats-Unis les données démontrent que les fermes de moins de 2 Ha produisent 15 104 $/ha, soit près de 2 902 $ nets/ha. Les fermes plus grandes d’une moyenne de 15 881 ha, donnent 249 $/ha, soit près de 52 $ nets/ha.

Non seulement les petites et moyennes fermes donnent des rendements plus élevés que les conventionnelles, mais en plus, elles ont un impact négatif beaucoup plus faible sur l’environnement. Les petites fermes sont « multifonctionnelles », plus productives, plus efficaces, et contribuent plus au développement économique que les grandes. Les communautés entourées de centaines de petites fermes ont une économie plus saine que celles entourées de grandes fermes mécanisées et dépeuplées. Les petits paysans prennent plus soin des ressources naturelles, comme la réduction de l’érosion du sol et la conservation de la biodiversité .

La relation inverse entre la taille de la ferme et le rendement total peut être attribuée à un meilleur usage par les petits agriculteurs de la terre, de l’eau, de la biodiversité et d’autres ressources agricoles. Aussi en considérant les entrées et les sorties de chaque système, on voit que la société améliorerait sa situation économique en se basant sur une production dominée par de petites fermes. La construction dans le Sud de solides économies rurales basées sur la production agricole à petite échelle, permettrait à la population de rester dans les campagnes avec leurs familles, et contribuerait à endiguer le flot des migrations. Comme la population continuant de croître et la quantité de terres arables et d’eau disponible par personne diminuant, une structure agricole fondée sur de petites fermes peut devenir la clé de l’alimentation mondiale, particulièrement quand l’agriculture à grande échelle est consacrée à fournir les réservoirs de voitures.

3/ Les petites fermes traditionnelles et biodiversifiées représentent un modèle de durabilité.

Malgré les progrès de l’agriculture industrielle, la persistance de milliers d’hectares cultivés traditionnellement montre le succès de l’adaptabilité et de la résiliance de la stratégie agricole indigène.

Ces microcosmes de l’agriculture traditionnelle (qui se sont maintenus à travers les temps, et qu’il est encore possible de trouver presque comme ils étaient il y a 4 000 ans dans les Andes, l’Amérique Centrale, l’Asie du Sud-Est et une partie de l’Afrique), offrent des modèles prometteurs de durabilité mais aussi promeuvent la biodiversité, prospèrent sans intrants chimiques et fournissent une production tout au long de l’année y compris dans des conditions environnementales marginales. Les connaissances locales accumulées durant des millénaires et les formes d’agriculture et d’agrobiodiversité consolidées par cette sagesse, constituent un héritage néolithique en cohérence avec les besoins écologiques et culturels d’une valeur fondamentale pour l’avenir de l’humanité.

Les recherches récentes suggèrent que beaucoup de petits paysans sont confrontés et même se préparent au changement climatique en réduisant au minimum les pertes de culture, par l’usage accru de variétés locales tolérantes à la sécheresse, la collecte et le captage de l’eau, l’utilisation de la polyculture, de l’agroforesterie, de la gestion des sols organiques, et de bien d’autres techniques traditionnelles.

Les analyses réalisées dans les versants après le passage de l’ouragan Mitch en Amérique centrale démontrent que les paysans qui utilisaient des pratiques durables telles que les cultures de couverture comme la « mucuna », les inter-cultures, ou l’agroforesterie, ont moins souffert que leurs voisins conventionnels. L’étude, qui portait sur 360 communautés et 24 départements du Nicaragua, du Honduras, et du Guatemala, démontre que les parcelles diversifiées avaient une couche de terre arable de 20 à 40 % plus épaisse, une plus grande humidité du sol, une érosion moindre et qu’elles présentaient moins de pertes économiques que leurs voisins conventionnels.

Cela implique qu’une ré-évaluation de la technologie indigène peut constituer une source importante d’information sur les capacités d’adaptation et de résilience des petites fermes, capacités d’importance stratégique pour les agriculteurs du monde entier qui apprennent à lutter contre les changements climatiques. De plus, les technologies indigènes reflètent souvent une vision holistique et une compréhension du monde naturel qui est plus réaliste et plus durable que celle héritée de l’Europe occidentale.

4/ Les petites fermes représentent un sanctuaire de l’agrobiodiversité sans OGM.

Généralement les petits paysans traditionnels cultivent une grande variété de produits. Beaucoup de ces plantes sont des cultures traditionnelles à partir de semences transmises de génération en génération, et présentent une plus grande diversité génétique que les cultures actuelles. Elles offrent ainsi de meilleures défenses contre les maladies, les ravageurs, la sécheresse et autres causes de stress, sécurisant de la sorte les récoltes. Dans un rapport mondial sur la diversité variétale de 27 cultures agricoles traditionnelles, les scientifiques ont constaté que la diversité génétique locale des cultures, et spécialement des aliments de première nécessité, se maintient.

Dans la plupart des cas, les paysans maintiennent la diversité comme une sécurité pour faire face au changement environnemental ou aux besoins sociaux et économiques futurs. De nombreux chercheurs ont conclu que la richesse des variétés augmente la productivité et réduit les variabilités de production. Par exemple, les études phytopathologiques mettent en évidence que le mélange d’espèces et/ou variétés cultivées peuvent retarder l’apparition de maladies, en réduisant la dispersion des spores ou en modifiant les conditions environnementales de manière à entraver le développement de certains pathogènes. Dans une étude récente en Chine, on observe qu’avec des mélanges de quatre variétés de riz, cultivés par des paysans dans une quinzaine de villages sur une surface de 3000 ha, l’incidence des maladies fongiques a été diminuée de 44 % et le rendement a été de 89 % supérieur par rapport aux champs homogènes, et cela sans recours aux fongicides.

Parce qu’il y a une forte probabilité que des cultures transgéniques soient introduites dans des régions de diversité génétique, il est crucial de protéger les zones d’agriculture paysanne de la contamination des OGM. En effet, les caractères génétiques importants pour les agriculteurs indigènes (résistance à la sécheresse, qualité des aliments ou du fourrage, maturité, capacité de concurrence, performance en polyculture, qualité de stockage, qualité culinaire, compatibilité des conditions de travail de la maison, etc.) pourraient être remplacés par des caractères transgéniques (par exemple, la résistance aux herbicides) dont les caractéristiques sont souvent sans importance pour les agriculteurs qui n’utilisent pas d’intrants chimiques.

Dans un tel scénario, le risque va augmenter, et les agriculteurs vont perdre leur capacité à produire des rendements relativement stables avec un minimum d’intrants, dans un contexte de changement des conditions biophysiques. Les impacts sociaux dus à des récoltes locales insuffisantes, les conséquences de l’altération génétique des variétés locales par la contamination transgénique, peuvent être considérables dans le monde en développement.

Maintenir des réserves de diversité génétique, géographiquement isolés de toute possibilité de contamination croisée ou de contamination génétique de cultures transgéniques uniformes, permettra de créer des « îlots » de matériel génétique intact qui agiraient comme une sauvegarde contre les erreurs écologiques potentielles résultant de la deuxième révolution verte qui gagne de plus en plus de programmes tels que l’AGRA, encouragé par les fondations Gates et Rockefeller en Afrique. Ces sanctuaires génétiques serviront comme la seule source de semences sans OGM, source nécessaire pour reconstituer les fermes biologiques dans le nord, inévitablement contaminées par l’avancée de l’agriculture transgénique. Les petits paysans et les communautés indigènes de l’hémisphère sud, avec l’appui des scientifiques et des ONG, peuvent continuer à être les créateurs et les gardiens d’une agrobiodiversité qui a enrichi la base génétique des cultures vivrières de la planète entière.

5/ Les petites fermes rafraîchissent le climat.

Alors que l’agriculture industrielle contribue directement au changement climatique avec pas moins d’un tiers des émissions totales des principaux gaz à effet de serre - dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et oxyde nitreux (N2O) -, les petites fermes biologiques biodiversifiées produisent l’effet inverse en augmentant le stockage de carbone dans leurs sols.

Les petits paysans qui travaillent généralement leurs sols avec du compost, absorbent et stockent plus de carbone que des sols cultivés avec des engrais conventionnels. Les chercheurs ont estimé que 10 000 fermes biologiques de petite et moyenne taille, permettent d’emmagasiner dans le sol une quantité de carbone qui équivaudrait à retirer de la circulation 1 174 400 voitures.

La plupart des petites fermes contribuent aussi à l’amélioration du climat en utilisant des quantités significativement plus faibles de combustibles fossiles par rapport à l’agriculture conventionnelle, principalement grâce à l’utilisation réduite d’engrais chimiques et de pesticides - car elles reposent sur l’utilisation d’engrais organiques, des rotations à base de légumineuses et des systèmes diversifiés augmentant le nombre d’insectes auxiliaires. Les agriculteurs qui vivent dans les communautés rurales à proximité de villes et de villages où se trouvent des marchés locaux, évitent le gaspillage d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre résultant du transport des aliments sur de longues distances.

Conclusions

Un trait caractéristique des systèmes de petites fermes est le niveau élevé d’agro-biodiversité sous forme de mélanges de variétés, de polyculture, d’associations de cultures avec de l’élevage et/ou de modèles d’agroforesterie.

La modélisation de nouveaux écosystèmes agronomiques utilisant de tels modèles diversifiés, sont extrêmement précieux pour les agriculteurs dont les systèmes s’effondrent à cause des dettes, de la spirale des pesticides, des OGM ou des changements climatiques, au contraire des systèmes diversifiés qui agissent sur les conditions de production comme un tampon entre les variations naturelles ou induites par l’homme. Il y a beaucoup à apprendre des formes de production indigènes, car ces systèmes ont une base écologique solide, maintiennent une diversité génétique inestimable et conduisent à la régénération et à la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. Les méthodes traditionnelles sont particulièrement édifiantes car elles offrent des perspectives à long terme d’une gestion agricole réussie dans des conditions de variabilité climatique.

Les mouvements ruraux sociaux organisés dans le Sud s’opposent à l’agriculture industrielle dans toutes ses manifestations, et ses territoires constituent de plus en plus des zones isolées d’une richesse unique en biodiversité - y compris en matériel génétique diversifié - agissant ainsi comme une sauvegarde contre un effondrement écologique potentiel provenant de systèmes inappropriés de modernisation agricole. C’est précisément la capacité à générer et à maintenir des ressources génétiques de différentes cultures, qui offre des opportunités de niche « unique » pour les petits paysans du Sud, probablement non reproductibles par les paysans du Nord, sous la contrainte des cultures uniformes et de la coexistence avec les OGM. 

Le “cibo pulito, buono e justo” ["aliments sains, bons et équitables"] promu par Slow Food, le commerce équitable du café, des bananes et des produits biologiques tant demandés par les consommateurs du Nord, ne peuvent être produits que dans les îlots agroécologiques du Sud. Cette « différence » inhérente aux systèmes traditionnels, peut être utilisée de manière stratégique afin de revitaliser les communautés de petits paysans, en exploitant des possibilités illimitées qui existent pour relier la biodiversité agricole traditionnelle avec les marchés locaux, nationaux ou internationaux, à condition que ces activités soient compensées par une juste rémunération par le Nord, et que tous les segments du marché restent sous le contrôle des agriculteurs.

Les consommateurs du Nord peuvent jouer un rôle important en soutenant ces marchés plus solidaires et plus équitables qui ne prolongent pas le modèle colonial de « l’agriculture des pauvres pour les riches », mais favorise plutôt un modèle qui encourage les petites fermes biodiversifiées comme base solide pour les économies rurales du Sud. Ces économies, non seulement fourniraient une production durable d’aliments sains et accessibles à tous, mais permettrait aussi aux peuples indigènes et aux petits paysans de poursuivre leur travail millénaire de construction et de conservation de la biodiversité agricole et naturelle, dont nous dépendons tous maintenant et dont nous dépendrons plus encore dans l’avenir.

Voir en ligne : Lien vers l’article (espagnol)

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