Agroforesterie : quelques essences d’arbres

extraits tirés d’une intervention lors d’une journée de formation de « Sol en vie »
Samedi 1er septembre 2012

François de Soos est un pionnier français en agroforesterie dans le Minervois (Aude). Il nous donne ici son expérience sur plusieurs espèces d’arbre particulièrement intéressantes et souvent peu connues. Bien sûr, il ne s’agit pas de limiter les possibilités à ces espèces ; l’introduction d’arbres fruitiers pour la consommation humaine et/ou animale, d’arbres de bois d’œuvre, etc. est aussi intéressante. Ce sont souvent les associations de différents arbres, et avec différentes productions végétales et animales, qui sont les plus intéressantes, suivant les projets et les besoins : tels arbres mellifères favorisent la prédation naturelle et la fécondation des arbres et cultures voisins, tels arbres insectifuges permettent la fabrication de produits de traitement, tels autres donnent l’ombre voulue aux productions associées, végétales comme animales, d’autres encore donnent de l’aliment aux animaux, de l’azote aux cultures… On s’aperçoit que, dans un écosystème pas trop perturbé, il y a plus d’échanges et de coopération « conviviaux » que de concurrence et d’effet dépressif.

Le févier d’Amérique (Gleditsia triacanthos L.)

Le févier est un de mes arbres fétiches : depuis que je l’ai découvert je lui trouve toujours des qualités. C’est un arbre à ombrage léger, sous lequel on peut donc faire des cultures maraîchères ou des céréales. Il ne gèle pas. Je le qualifierais aussi de « fertilitaire » par la biomasse foliaire qui meurt chaque année, les feuilles qui tombent et les radicelles (il y a autant de poids de radicelles qui meurent chaque année que de feuilles qui tombent). C’est important. C’est un arbre très riche en matières azotées, bien qu’il ne soit pas classé en fixateur d’azote. C’est une légumineuse, de la même famille que les haricots, le soja, le trèfle, la luzerne, comme le faux robinier qui, lui, est classé comme très bon fixateur d’azote (c’est à dire qu’il y a des nodosités avec des bactéries qui vivent en symbiose sur les racines et captent l’azote atmosphérique). Le févier d’Amérique enrichit quand même le sol par ses feuilles et ses racines.

Je déconseille complètement le robinier (ou faux-acacia) en agroforesterie parce qu’il drageonne. En bord de rivière ça va, en forêt aussi. C’est un très bon fixateur d’azote, il fait des piquets magnifiques, un miel merveilleux mais j’en ai au bord de la rivière et dans certaines vignes de mon voisin : il y a des rejets à 40 m de la rivière avec de grosses épines. Si vous ne vous en débarrassez pas la première année, ils font 3 mètres au bout d’un an ou deux. Il y a eu une grosse expérience en agroforesterie en Île de France, à Villarceaux3. Ils m’ont contacté et j’ai réussi à les faire changer d’avis : ils partaient sur le robinier, je les ai mis en garde totalement et, finalement, ils vont mettre des féviers d’Amérique.

gousses de févier d’Amerique

Le févier d’Amérique est un arbre originaire d’Amérique du Nord introduit en Europe au XVIIe ou XVIIIe siècle et qui résiste à des grands froids, des grandes sécheresses. Le fruit peut servir de fourrage, mélangé avec de la paille. Nous commençons à profiter des gousses. Nous faisons des essais en « mulch » (paillis) sur des pommes de terre4 : c’est très intéressant. Comme cette année on a pris une vache et qu’on monte un petit troupeau de brebis et de chevrettes, on a commencé à les nourrir avec les gousses comme complément azoté, comme si on leur donnait des tourteaux de soja. Elles mangent les gousses entières. Ça marche très bien. Elles y ont pris goût. Les gousses possèdent un taux en sucre énorme. Au XVIIIe siècle et jusqu’au XIXe siècle, tout le sucre aux États Unis était fait avec les gousses de févier. Il y a une espèce de gélatine autour des graines. Les bonnes variétés peuvent produire des gousses de 45 cm. Quand vous les sentez, l’odeur est très agréable.

L’écueil est que la plupart des féviers sont épineux avec des épines conséquentes. Il ne faut pas mettre ceux-là. J’en ai gardé chez moi pour montrer les erreurs qu’il ne faut pas faire. J’en ai un au jardin potager. J’avais prêté mon jardin potager il y a 3 ans à des jeunes qui s’installaient, ils ont coupé les branches basses et l’arbre s’est hérissé de paquets d’énormes épines. Les épines sont très venimeuses, si vous vous piquez, cela peut provoquer des abcès.

Donc si vous en achetez, il faut choisir des variétés garanties non épineuses, soit qui soient greffées, soit qui soient issues de semis spontanés. On voit les épines dès la première année. Au jardin potager j’en ai un grand qui produit deux ou trois cent kilos de gousses et il y a des semis tout autour que l’on va replanter cet hiver. Dès la première année on voit les petites épines vertes donc, là, il faut les ficher en l’air de suite pour ne pas prendre de risque. Le févier d’Amérique est l’exemple type de l’arbre multi-usage. Il peut servir aux abeilles, aux insectes, à nourrir des animaux domestiques, à faire du bois d’œuvre (s’il est bien conduit c’est un bois très solide et très durable), ou du bois de chauffe.

Les arbres à insectes

feuilles de PaulowniaTomentosa

Certaines essences d’arbre permettent de développer une biodiversité d’insectes auxiliaires dans la mesure où ceux-ci ont de quoi nicher. C’est le cas des arbres qui ont de petits poils comme du velours dans les feuilles, les arbres « tomenteux », comme le paulownia tomentosa, et les insectes y nichent. Ils font leur ponte, au printemps ça éclot, et dans d’autres buissons ils trouvent leur nourriture. Ils peuvent alors vous aider à neutraliser les prédateurs dans la vigne d’à côté ou dans la culture qui est dessous.

L’argousier et autres arbustes fixateurs d’azote

Parmi les fixateurs d’azote atmosphérique, il y a deux familles qui ont des systèmes différents :

  • les légumineuses (fabacées) qui fonctionnent en symbiose avec des rhyzobiums (bactéries anaérobies fixant l’azote de l’air et le donnant à la plante par des nodosités racinaires ou caulinaires) ;
  • les arbres et arbustes associés aux bactéries frankia (autres bactéries, actinomycètes filamenteuses, formant des nodosités appelées « actinorhizes ») : les aulnes, les myricaceae (comme le piment royal), les ericaceae (comme les myrtilles, rhododendrons, bruyères) et la famille des éléagnacées, notamment les oliviers de bohême (Eleagnus angustifolia) qui ont des feuilles gris argenté, des épines et la propriété de supporter les embruns salés et retenir les dunes.
fruits d’argousier

Un des plus connus de cette famille est l’argousier (5) (Hippophae rhamnoides) qui revient très à la mode car il a des propriétés médicinales extraordinaires. On en plante beaucoup au Canada. En Chine, on est en train d’en replanter dans le désert du Sin-Kiang pour retenir les dunes. En Russie, en Allemagne, on en plante aussi pour ses propriétés médicinales et pour faire du jus d’argouse. Tout est utilisable dans cet arbre. Quand j’ai des coups de fatigue, j’essaye les feuilles comme un thé revigorant et c’est efficace. Les fruits sont magnifiques. Toutes les branches jeunes sont couvertes de petites olives orangées à rouges.

Le problème c’est qu’il est très épineux, recouvert de petites épines acérées. On a sélectionné des variétés sans épine ; malheureusement elles perdent en principes actifs. Je n’en ai pas encore goûté les fruits car j’avais semé des argouses mais je ne savais pas encore que les variétés n’étaient pas auto fertiles et je n’ai que des mâles. J’ai trouvé une ferme qui en faisait en bio en Provence. Ils m’ont vendu des plants mais c’est tellement appétant que les lièvres m’ont tout mangé la première année. Une dame qui faisait un démarrage de vergers en Ariège nous avait dit que les chiens aussi les lui mangeaient et qu’il fallait des protections incroyables. C’est un buisson de 2 m chez moi qui peut faire un arbrisseau de 7 m dans des conditions particulières. J’en ai vu un spontané à l’oppidum de Montferrand, dans les Alpes et en Espagne.

On a aussi fait des essais sur pas mal de légumineuses arbustives plus petites que le faux robinier ou le févier. Il en existe 5 ou 6 connues en Europe :

  • la luzerne arborescente (Medicago arborea) qui a une très jolie floraison jaune à orange. Très appétente pour les animaux. Les lièvres ou les chevreuils viennent nous les raser tous les ans.
  • Il y a le pois de Sibérie (Caragana arborescens) qui fait de petites gousses très appréciées par les volailles.
  • Il y a aussi la Tagasaste (Chamaecytisus Palmensis ou arbre luzerne) qui est une légumineuse magnifique qui vit aux Canaries. Elle est très mellifère, très intéressante pour nourrir les animaux mais elle est trop gélive chez nous. J’en ai une dans ma serre mais on n’a pas réussi à l’adapter dehors.
baguenaudier
  • Ensuite il y a le baguenaudier (Colutea arborescens), dont les vessies roses renferment les graines. La floraison est jaune.
  • Le faux indigo (Amorpha fructicosa), introduit dans le Massif Central et le pic de Bugarach (Aude) pour nourrir les animaux, moutons, chevaux. Il est très nourrissant et très résistant à la sécheresse. Il fait une floraison indigo.

Le mûrier

Le mûrier est un arbre très intéressant, particulièrement si on a des volailles. Si vous avez une petite basse-cour, vous pouvez planter un murier noir ou blanc. Nous, on en a une allée : j’ai constaté que la production tombe pendant deux mois et tous les animaux viennent la manger, même les renards. La feuille est un fourrage excellent et très abondant. Au début, j’en ai nourri mon troupeau. Ces arbres avaient été plantés chez nous. J’ai retrouvé les cahiers d’exploitation de 1830 et il y avait deux hommes qui faisaient l’allée des mûriers pour faire des fagots pour les bêtes à laine et les bêtes à cornes. Ça leur apportait beaucoup de vitamines pour l’hiver. Par contre j’ai constaté que les mûriers avaient des racines traçantes très importantes. On en a sur une allée mais, dans une des parcelles agroforestières où j’ai fait des trous pour planter des arbres à 32 m de l’allée, on trouvait encore des racines de mûrier. Je me dis que c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas été contrôlés par l’homme.

Le margousier, insectifuge/insecticide

Certains arbres peuvent être plantés pour leur propriété insectifuge, notamment le melia azedarach (lilas de Perse), celui que l’on peut appeler le margousier en français.

fruits en olive du Neem

En fait le margousier (Azadirachta indica ou Neem en anglais) est son très proche cousin originaire du sud de l’Himalaya, en Thaïlande, qui est partout en Inde, et a été introduit à Madagascar, en Afrique Noire, à Cuba, en Amérique Centrale. C’est un arbre qui est la base de la pharmacopée indienne. Les Américains avaient déposé un brevet dessus et Vandana Shiva et un groupe d’agriculteurs ont réussi à faire casser le brevet. Ça a été une première. Il y a trois mille ans qu’il est utilisé ! Les Indiens se lavent les dents avec les jeunes pousses. Il a beaucoup de propriétés médicinales que je ne connais pas. Tout l’arbre est insecticide, aussi bien l’écorce que les feuilles et les fruits. Les fruits du neem sont des espèces d’olives blanchâtres et les fruits du mélia, la même chose mais rond. Dans chaque fruit il y a plusieurs côtes avec 4 ou 5 graines. Vous pouvez en semer dans un godet au printemps, il va en sortir 4 ou 5, après il faut les démarier et les replanter. Celui-là est un arbre qui était dans ma serre et que j’ai replanté dans la cour de mes parents. C’est un arbre très décoratif avec un feuillage magnifique, un peu comme le frêne mais avec des feuilles plus luisantes. C’est un arbre à l’ombrage magnifique.

Bien qu’il ait des propriétés insecticides, il est mellifère. J’ai constaté qu’il attire les escargots qui mangent les bourgeons. Selon les recherches scientifiques, il agit sur 300 espèces d’insectes comme insecticide. La manière la plus simple de l’utiliser, comme le font les Malgaches, c’est par macération des feuilles 24h dans de l’eau froide. Ils la pulvérisent sur le riz par exemple et ça éloigne ou détruit l’insecte en question. Ce qui est aussi à la mode c’est de faire avec les drupes une huile qui coûte très cher. J’ai entendu les agriculteurs qui avaient utilisé cette huile dire qu’ils avaient beaucoup de mal à la mélanger car elle flotte sur l’eau. Contrairement aux insecticides chimiques, qui agissent avec un effet choc, l’argousier agit avec des effets en cascade et l’insecte n’a pas le temps de s’habituer : soit il ne peut plus digérer, soit ses pontes sont infertiles. C’est très intéressant. Il ne peut pas s’y habituer et il n’y pas de risque d’adaptation. Il y a eu énormément de recherches faites, et beaucoup de livres, notamment en Inde (ex : Neem, a tree for solving global problemes).

Je ne l’ai pas encore utilisé en pulvérisation, mais pour deux autres problèmes :

  • quand on entame un sac de sucre le soir pour faire des confitures de figues, le lendemain on a deux ou trois mille fourmis dedans. On a donc mis des feuilles de melia dedans et les fourmis ont évacué en vitesse.
  • on a constaté l’effet répulsif des feuilles sur les charançons qui vont dans les céréales stockées dans des big-bag. Par contre, sur les souris et les rats, ça ne fait rien.

J’ai découvert une dernière chose sur le margousier : c’est un arbre de bois très précieux de la famille de l’acajou. Il pousse assez vite et la floraison est très belle avec de toutes petites fleurs étoilées blanches et violettes, qui ont une odeur de lilas très fine. Il a beaucoup de noms secondaires dont celui d’arbre à chapelet.

L’atriplex

atriplex halimus

J’essaye d’adapter une autre espèce qui est de la famille des atriplex. Ce n’est pas un fixateur d’azote mais on fait dessus des recherches dans le bassin méditerranéen pour nourrir les animaux domestiques et retenir la terre. Ce sont des plantes qui supportent les embruns salés. Elles sont comestibles pour l’homme : les feuilles ont un gout salé et acide. C’est vivace. Chez nous ça fait des buissons. J’ai vu des rapports qui disent que c’est très intéressant pour les volailles qui mangent aussi les graines. Ils en plantent en Syrie, au Liban, en Libye. Chez nous il y en a dans les talus, mais dans certains endroits ils ont beaucoup souffert de l’intervention de l’homme. Ça reprend très bien en bouture et j’attends de voir ce que cette espèce donnera chez moi.

1. voir les articles « L’arbre dans la lutte contre la sécheresse et les orages – Observations, explications et conséquences sur la plantation », Lien n°66 p.42-47 et « Le témoignage de François de Soos, pionnier français en agroforesterie », Lien n°67 p.37-43.
2. Renseignements sur les formations d’Emmanuel Chemineau : http://ariegeagroecologie.wordpress.com/
3. http://www.agroforesterie.fr/newsletters/newsletter_04_11/Agrof_Villarceaux_Dec10.pdf
4. voir l’article « De belles pommes de terre… hiver 2008-2009 », Lien n°59 p.55-58
5. Attention de ne pas confondre : Il y a trois arbres qui ont presque le même nom, l’arbousier15 (Arbutus unedo) qui fait des fraises rondes, l’argousier et le margousier16 (Azadirachta indica)

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