Engrais vert et culture intercalaire - l’allélopathie et la bio fumigation

par Jean-Yves talhouarn, nutritioniste-agronome
Dimanche 30 décembre 2012

Engrais vert et culture intercalaire : ce qu’on entend derrière ces mots

Je vais essayer de répondre aux questions sur l’importance d’une culture intercalaire. Une culture intercalaire est entendue ici comme une culture que l’on intercale dans le temps entre deux autres, sur une même parcelle, dans le but de la restituer au sol.

On la nomme souvent à tort « engrais vert ». Mais à « engrais vert » on associe souvent l’action « d’encaver » – d’enfouir – la culture en pleine végétation. Or, si on introduit une culture au sol en pleine sève, la sanction ne se fera pas attendre : soucis de parasitismes tels que taupin, rumex et bien d’autres faunes ou flores, que l’on appelle souvent parasites, « vu qu’ils ne sont pas invités au festin ».

Au contraire, pour une restitution végétale bénéfique, un engrais vert (ou culture intercalaire) doit être broyé, laissé à l’air libre quelques jours pour être séché, puis superficiellement incorporé au sol (cela sera reprécisé dans la suite de l’article).

En effet cela permet à la chlorophylle, aux xanthophylles et à la sève élaborée qui constituent cet engrais vert de devenir un aliment pour des organismes du sol non pathogènes. Il doit être le levain qui, par une bonne coagulation de ses composants, nourrit, non pas taupin, sclérotinia, nématodes, etc., mais la faune du sol propice à la vie des lombrics, enzymes, bactéries et champignons qui débobinent la cellulose.

Les rôles de la culture intercalaire

Les cultures intercalaires peuvent être classées selon leurs rôles différents et parfois antagonistes :
1/ action sur les différentes structures du sol : compactée (en lamelles ou en mottes dures) ou en grumeaux ;
2/ sélection des bactéries du sol ;
3/ bio fumigation contre les graines de rumex, de chiendent et leurs racines ;
4/ bio fumigation contre les œufs de taupin, de tipule, de sclérotinia et sûrement d’autres parasites (bactéries, champignons, etc.)

Quand mettre cette culture en place ?

Dans la majorité des cas, ce sera après la moisson parce que :
- souvent la céréale libère la parcelle assez tôt pour mettre la culture en place ;
- le sol est chaud, l’hygrométrie et la pluviométrie sont là : or ce sont les conditions d’une levée rapide des graines. (Attention : il faut que les graines restées de la moisson précédente aient eu le temps de bien germer pour être ensuite détruites et ainsi ne pas entrer en concurrence avec le semis, sinon l’engrais vert sera étouffé et les repousses de la culture précédente introduiront des maladies bactériennes - feu bactérien - et souvent virales).

Mais la première raison est que la plante ou l’association de plantes a pour but de couper la succession de plusieurs cultures de la même espèce.

Pourquoi couper la succession de cultures de la même espèce ?

Lors de la décomposition d’un reliquat de culture ou d’engrais vert, la lyse laisse des putrescines dans le sol qui empêcheront le bon développement des racines de la culture suivante si celle-ci est de la même espèce.

C’est pour cette première raison que je conseille vivement de bien choisir la plante qui digérera les putrescines de la culture précédente (ainsi que ses exsudats racinaires qui sont aussi antagoniques à l’encrage du système racinaire de la culture suivante). En effet les radicelles et les poils absorbants seront crochus et atrophiés, car brûlés par ces putrescines typiques de la même famille botanique. Il ne vous viendrait pas à l’esprit de faire consommer à un cochon ses propres excréments ! Et pourtant combien de fois vous imposez cette triste situation aux cultures, par méconnaissance de la place importante des rotations !

La deuxième raison est que la faune et la flore symptomatiques de cette accumulation de putrescines en en faisant leur repas ne sont pas les bienvenues puisque vous les classez comme parasites ! Il est donc urgent de renouveler une pratique agronomique intelligente pour se préparer à travailler sa terre en bon paysan, donc sans herbicide, fongicide ni pesticide. Il est important de prévoir des sorties de secours avant que la législation supprime ces produits ou vous les taxe au point que vous ne puissiez plus les utiliser !

Avant l’ère « phyto », il y avait celle de l’observation de la terre avec un autre regard : essayons ensemble de redécouvrir cette science par l’observation et la vulgarisation, chacun chez soi, pour ensuite fusionner les infos par Le lien, des réunions téléphoniques et des rencontres du Groupe Sol. Il appartient à vous-seul de faire cet échange d’expériences !

Combien de fois nous constatons une répétition d’erreurs qui consistent à faire succéder plusieurs fois la même espèce, ce qui entraîne le charognard, comme le taupin ou le rumex : ils ne sont là que pour assainir le sol et non pour vous polluer la vie !

La céréale est une graminée, tout comme le maïs et de nombreuses plantes de la pâture. En conclusion, depuis plusieurs décennies, nous ne faisons rien pour régler la colonisation du sol par un certain nombre de parasites !

Quelle plante choisir pour gérer les risques du parasitisme pathogène ?

En premier, on choisit la culture ou engrais vert selon les objectifs que l’on souhaite atteindre. Exemple : je veux une plante qui structure profondément le sol et qui doit être est en même temps efficace contre les pressions rumex, chiendent et renouée liseron. Solution : il faut une crucifère. Après la céréale qui vient d’être déchaumée, on peut mettre une céréale d’hiver mais je conseille plutôt une céréale de printemps : elle laissera ainsi assez de temps à la crucifère pour bien s’implanter.

En effet, le temps est le maître mot dans le travail des racines et des radicelles des engrais verts : leur déploiement, la production de radicelles et de nodosités, et enfin la sélection des organismes comme les azotobacters libres ou protozoaires, vecteurs de la protéosynthèse. C’est ce qui permet, par exemple, une lutte efficace contre le piétin échaudage sur le blé, qui est souvent dû à une pression parasitaire forte sur les racines, conséquence d’une succession de plantes de la même famille.

Le choix de la plante

Le choix de la plante ou de l’association sera donc fait par rapport à la culture qui la précède et à celle qui sera mise après. Je vais citer quelques exemples pour commencer à étoffer cette première partie sur les engrais verts ou cultures intercalaires.

- 1er exemple

Si c’est un blé qui vient d’être battu et qu’on prévoit de mettre une orge ensuite, il faut semer une culture intercalaire qui coupe la succession de graminées et efface les risques de maladie sur les racines : donc on mettra une crucifère. La variété de crucifère sera choisie selon le type de parasite, faune ou flore, qui occupe le sol. On la choisit aussi par rapport au salissement de la parcelle : par exemple, s’il n’y a pas de rumex, ce sera une moutarde brune. Dans cet article, je vais citer plusieurs cas afin de décrire la place de plusieurs types de crucifère. S’il y a du rumex, il est important de prévoir un radis fourrager ou un radis chinois (si le sol est compacté, on peut envisager de lui additionner une phacélie qui fissure le sol). Mais attention ! Le radis anéantira les graines de rumex uniquement à condition d’être semé dernière date limite : mi juillet, et surtout avec au moins 15 t de fumier ou 4 à 5 t de compost à l’hectare. Le radis fourrager est pour moi la crucifère la plus performante pour l’instant : à lui seul, nous pouvons dire que c’est un beau cadeau de la création ! Il détruit, par ses sécrétions, les graines de rumex germées, les racines de chiendent, les renouées liseron, les PSD et enfin le taupin, le sclérotinia et les nématodes. Après le passage d’un radis fourrager, la terre est propre, structurée et drainée. Il est important de le détruire dès que les gousses commencent à recevoir les graines, sinon les graines germeront même si elles n’ont pas atteint le stade adulte.

La destruction devra se faire en deux étapes :
- tout d’abord broyer la plante très menu et au plus près du sol
- ensuite, au bout de 4 à 5 jours, mélanger le broyat dans 5 à 8 cm de terre, avec un rotovator ou un outil mélangeur et billonneur si possible.

Cette opération est très importante car elle permet, par le pouvoir allélopathique du suc racinaire, de continuer le travail sélectif issu de la décomposition des engrais verts : les essences de plante qui se libèrent du mulch mélangé au sol sélectionnent les bactéries favorables à la protéosynthèse et triplent le nombre d’azotobacters libres et de protozoaires vecteurs de la protéosynthèse, en particulier. Ici, les essences de moutarde (1) du radis sont dispersées dans le sol par le mélange avec le rotavator ; l’action de ces essences est appelée bio fumigation.

Les cultures qui bénéficieront le plus de l’engrais vert par l’allélopathie et la bio fumigation après ce travail sont : les céréales, les légumineuses, les protéagineux, les mélanges de pâture fauche ou pâture et les pommes de terre.

Il sera très intéressant de prévoir un article dédié à chacune de ces cultures car leurs besoins sont très différents en fertilisation et structure du sol. Pour obtenir le meilleur rendement, nous choisirons donc un engrais vert en fonction de ces besoins, du stock d’azotes aminés qu’il laissera et de la culture précédente : le choix est très large.

- 2e exemple

Je prévois de mettre un maïs après le blé. Je dois donc donner au maïs les moyens de pousser avec un bon état racinaire pour ne pas connaître de risque de taupin ni de maladie sur le feuillage - car très souvent cette plante connaît une baisse conséquente de rendement à cause de l’état de ses racines.

Il faut donc mettre un mélange de plantes qui réponde à ces problématiques (à vous aussi de proposer et de suggérer des réponses !) :
- après le blé, le sol est bétonné : quelle plante je choisis pour corriger ce défaut de structure en dalles ou mottes très compactes ?
- comment gérer le souci du taupin ?
- celui de la fusariose ou de maladies dues à des champignons ?
- celui du stress hydrique ?
Tout d’abord mettre une moutarde brune pour limiter l’éclosion des œufs de taupin : celle-ci est très efficace, par ses sécrétions dans la rhizosphère, pour inonder de composés proches des polyphénols (issus de l’essence de moutarde). Ce solvant entre dans les enveloppes des graines des adventices dicotylédones et des œufs et détruit toute possibilité de germination. Et pourquoi pas lui additionner une plante qui fissure le sol et laisse un carbone riche en colloïde humique : l’avoine brésilienne ou une avoine de printemps ?

Puis, comme cette culture est très exigeante en azote, il faut lui ajouter un trèfle africain, comme le squarrosum, ou un mélange de 4 trèfles : ainsi le maximum des horizons du sol sera colonisé par les nodosités des légumineuses.

Bien entendu, il ne sera pas mis de crucifère au maïs - sauf une moutarde brune - à cause des essences de moutarde qui empêchent les radicelles du maïs de pousser rapidement. La moutarde brune s’installe vite – donc travail avant les jours froids – et peut ensuite être détruite dès le printemps, sans laisser de racine car elle est très gélive et n’offre pas de complication pour le travail du sol avec un outil à dent qui ouvrira le sol pour libérer le reste des essences de moutarde.

- 3e exemple

Je prévois de mettre l’année prochaine une pâture composée de plusieurs graminées et légumineuses, ceci pour avoir une démarche cohérente
- économiquement : moins dépendre du prix exorbitant du soja et de la protéine ;
- agronomiquement : ne pas uniquement soustraire au sol pour produire mais aussi restituer au sol par la production.
Dans ce cas de figure, je dois bien réussir ma crucifère pour obtenir une bonne sélection des organismes bactériens, des enzymes et des champignons afin de placer l’usine à azote en bonne posture.

Quelle stratégie dois-je mettre en place pour obtenir assez d’organismes bactériens, fongiques et microbiens pour avoir des légumineuses qui passent de 60 unité N par ha à, au moins, 280 ? Pour moi, la réussite de la mise en place de la pâture – et donc de sa production en carbone comme en protéine – sera liée au travail de structuration du sol, de sélection des plantes et organismes et de digestion de la crucifère mise avant le mélange multi plantes, que celui-ci soit fauché ou pâturé.

1) Après une céréale ou une vieille pâture, j’installe une crucifère
2) je broie ou fais brouter si le sol porte et si le besoin de fourrage se fait sentir. Par contre, s’il y a assez de fourrage, mieux vaut mettre une moutarde avec une phacélie par exemple, ainsi il n’y aura pas de détérioration du sol par le passage des animaux ou des engins.
3) je décompacte le sol puis je l’affine pour avoir un lit de semence appuyé.
4) je sème en premier les graminées, bottes enterrées, puis les légumineuses éparpillées, bottes levées sauf si il y a de la luzerne. Dans ce cas, étant donné que la luzerne est inoculée et que les bactéries de cette inoculation sont très sensible aux UV, le semis des légumineuses sera fait bottes enterrées.

Étant donné que le premier passage a été fait plus profond, à environ 4 cm, et que le sol est plus tassé après le passage du rouleau, les graines de légumineuses semées après seront donc mises dans un lit de semence peu profond.

Pour avoir une germination rapide et une bonne remontée de l’eau du sol par capillarité, il est important de rouler le sol après le semis, ainsi vous rapprocherez les grains de terre pour permettre la remontée de l’eau. Cela évite en plus que l’air pénètre dans le sol pour déshydrater la rhizosphère. Trop souvent les semis sont mal appuyés, c’est pourquoi les légumineuses paraissent être semées en plus grande quantité à l’emplacement des roues du semoir et du tracteur – ce qui est aussi le cas dans les bouts des champs et dans les zones plus humides ou plus riches en matière organique, car ces endroits se réchauffent plus vite.

Il est fortement déconseillé de mettre du fumier à l’implantation de la pâture : les plantes ne sont pas assez vigoureuses pour absorber toute la fertilisation humique et c’est la catastrophe ! On est alors envahi, selon les saisons, de chénopode, de mouron, de renouée etc. La fertilisation doit donc être mise en même temps que la crucifère, et ensuite tous les ans mais à partir de la fin août car c’est à cette période que les corps microbiens et bactériens se reproduisent et construisent le pont azoté aminé. Donc on ne peut apporter du fumier composté qu’à cette période, mais si le mélange n’est pas assez chlorophyllien, on peut en remettre jusqu’à la sainte Catherine (25 novembre) car tout plant prend racine !

Je vous laisse donc à votre réflexion pour réussir à être de bons collaborateurs avec cette pièce maîtresse, la pâture, qui donnera l’élan à la vie de vos sols !(2)

1. Les essences de moutarde se trouvent dans toutes les crucifères, leur teneur dépend du temps de vie et de la puissance des racines ainsi que de l’importance de la coiffe en radicelles

2. Pour aider Jean-Yves Talhouarn à savoir les thèmes que vous souhaitez approfondir dans les prochains articles agronomiques, merci de réagir et de faire parvenir toutes vos questions, remarques, expériences, désaccords…en écrivant au secrétariat des Journées Paysannes.

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