Il y a une quinzaine d’années, nommé responsable du domaine forestier de l’Abbaye de Randol, j’éprouvai le désir d’enrichir ce labeur temporel au moyen de l’étude surnaturelle.
La leçon de saint Bernard se présentait à mon esprit : « Crois-en mon expérience : tu trouveras quelque chose de plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que tu ne pourrais apprendre des plus grands maîtres ».
Remarquons que saint Bernard dit que l’on trouvera « quelque chose » de plus dans les bois, et non pas « plus de choses » ; ce qui suppose donc d’avoir d’abord étudié ce qu’on trouve dans les livres, avant d’approfondir cette recherche par la méditation au sein de la forêt. C’est bien ce que saint Bernard conseille à son correspondant, Henry Murdach, un anglais adonné à l’enseignement, afin de l’engager à embrasser la vie monastique ; celui-ci l’écoutera, puisqu’il le rejoindra à Cîteaux.
Et telle doit être aussi notre démarche à tous : retrouver par l’étude et la réflexion le sens profond de notre rapport à Dieu d’une part, et à la nature d’autre part : ce qui fait de nous tous des « religieux » au sens large, car nous sommes en tant qu’hommes, et plus encore en tant que chrétiens, investis de la mission de relier la création au Créateur.
Pour profiter surnaturellement de mon travail forestier, il me fallait donc avoir étudié, pensais-je,ce que l’Esprit-Saint avait dit à l’Église à propos des arbres. J’ai donc commencé à rechercher dans la Sainte Écriture les textes où l’on parlait des arbres.
Ô surprise ! je me suis rendu compte bien vite qu’il y en avait des centaines, rien que pour les mentions des « arbres » ou du « bois ». Puis, au fil de ma lecture, j’ai découvert peu à peu qu’une soixantaine d’espèces ligneuses sont mentionnées dans la Bible, ainsi qu’une vingtaine de termes botaniques désignant les différentes parties de ces végétaux, et une quinzaine de termes employés pour les lieux boisés. Enfin, une quinzaine de termes encore décrivent différents usages du bois, et cinq autres les outils employés pour le travailler.
Remarquons qu’une simple lecture de l’Écriture ne suffit pas : l’Église a souvent rappelé qu’elle avait besoin d’être commentée, afin d’être interprétée selon la juste pensée – « l’orthodoxie » – de la foi catholique. Si donc on s’adresse aux Pères de l’Église pour l’éclairer, elle prend une saveur nouvelle et rassasie l’âme.
Or, les commentaires des Pères sur le thème de l’arbre sont innombrables ; ce qui manifeste combien ils étaient sensibles à la nature. Et pourtant, on dit souvent qu’ils lui étaient indifférents, en les opposant aux auteurs de l’Antiquité classique, de la Renaissance ou de l’époque moderne. Mais en fait, les Pères n’hésitent pas à parler longuement des arbres, surtout lorsqu’ils rencontrent quelque texte scripturaire qui en fait mention. Leur commentaire est cependant toujours orienté vers les réalités spirituelles qu’ils y découvrent ; car leur contemplation des beautés de la nature est toujours ordonnée à l’Économie surnaturelle de la Création et de la Rédemption. C’est là ce qui fait toute la différence avec les excès du « naturalisme » ou, pourrait-on dire, de l’« écologisme », qui ne veut considérer la nature qu’en elle-même et surtout que pour elle-même, indépendamment de toute « religion » au sens que nous avons déjà évoqué, c’est-à-dire indépendamment du rattachement essentiel de la création comme telle au plan divin sur l’humanité.
Comme le dit saint Paul avec force : La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : livrée au pouvoir du néant — non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée —, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. (Rom. VIII, 19-22)
Le Magistère contemporain lui-même ne se désintéresse pas de ce sujet, qu’il aborde du même point de vue surnaturel que les Pères. Ainsi par exemple, le 16 décembre 2000, le Pape Jean-Paul II recevait en audience un groupe de pèlerins venus d’Autriche, à l’occasion du don de l’arbre de Noël de la Place Saint-Pierre. Voici des extraits du discours qu’il leur adressa :
« Déjà, dans mon pays, j’aimais beaucoup les arbres. Lorsqu’on les regarde, ils se mettent en un certain sens à parler. Un poète considère les arbres comme des prédicateurs portant un message profond : Ils ne prêchent pas des doctrines et des recettes, mais annoncent la loi fondamentale de la vie. A travers la floraison du printemps, la maturité de l’été, les fruits de l’automne et le déclin de l’hiver, l’arbre raconte le mystère de la vie. C’est pourquoi les hommes, depuis les temps anciens, ont adopté l’image de l’arbre pour réfléchir sur les questions principales de la vie.
« Comme les arbres, les hommes aussi ont besoin de racines profondément ancrées dans la terre. Seul celui qui est enraciné dans la terre fertile possède la stabilité. Il peut s’élever vers le haut pour accueillir la lumière du soleil et peut, dans le même temps, résister aux vents autour de lui. Mais celui qui croit pouvoir vivre sans fondement vit une existence incertaine qui ressemble à des racines sans terre. L’Écriture Sainte nous indique la base sur laquelle nous pouvons enraciner notre vie pour une solide existence. L’Apôtre Paul nous donne un bon conseil : Comme les arbres qui ont en lui — le Christ — ses racines, appuyez-vous sur votre foi telle qu’on vous l’a enseignée.
« L’arbre porte ma pensée vers une autre direction. Dans nos maisons et les lieux où nous vivons, nous avons coutume de mettre l’arbre de Noël à côté de la crèche. Comment ne pas penser, dans ce contexte, au paradis, à l’arbre de la vie, mais également à l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Avec la naissance du Fils de Dieu, a eu lieu la nouvelle création. Le premier Adam voulant être comme Dieu, a goûté du fruit de la connaissance. Jésus-Christ, le nouvel Adam, tout en revêtant une nature divine, ne prétendit pas égaler Dieu dans sa ressemblance, mais préféra s’anéantir lui-même, en prenant la nature d’esclave et en devenant semblable aux hommes : de la naissance jusqu’à la mort, de la crèche jusqu’à la croix. De l’arbre du paradis vint la mort, de l’arbre de la croix ressuscita la vie. Ainsi, l’arbre appartient à la crèche, en faisant allusion à la croix, l’arbre de la vie. […]
« Recevez comme don le message de l’arbre, tel que l’a exprimé le Psalmiste :
Heureux l’homme […] qui se plaît dans la loi du Seigneur [et] murmure sa loi jour et nuit ! Il est comme un arbre planté auprès des cours d’eau ; celui-là portera fruit en son temps et jamais son feuillage ne sèche ; tout ce qu’il fait réussit. »